15 juin 2020

David-Zacharie Issom est Co-président de l’association Suisse Drépano et Président de la Fédération européenne de la Drépanocytose. Nous évoquons dans un entretien les crises douloureuses, la santé psychique et les patients oubliés en Suisse.

Propos recueillis par Daniela Meier et Sandra Ivic

Tu es à la fois patient toi-même et représentant de patients. La drépanocytose semble être une maladie assez particulière, peux-tu expliquer de quoi il s’agit? 

La drépanocytose est une maladie sanguine causée par une mutation génétique, apparue il y a 7’300 ans en Afrique de l’Est. La mutation a persisté dans le génome humain car elle a doté ses porteurs d’une meilleure résistance à la pire forme de paludisme. Cependant, si la mutation est transmise à un enfant par ses deux parents, la drépanocytose se manifeste, caractérisée par une malformation des globules rouges qui prennent une forme semblable à une faucille. Cette mutation rend également les globules rouges plus collants et fragiles, ce qui entraîne des obstructions des plus petites veines. C’est ce qu’on appelle une crise vaso-occlusive. Par conséquent, les tissus situés en aval manquent de nutriments et d’oxygène, ce qui n’entraîne rien de moins que la mort de ces tissus. Ce processus peut causer de nombreux problèmes tels que des lésions chroniques des organes, des défaillances d’organes multiples, des douleurs voire même des complications mortelles.

David issom est un patient et un représentant des patients
David issom est un patient et un représentant des patients

Qui sont les personnes atteintes de drépanocytose? Existe-t-il un patient type?

Il n’existe pas de personne type car il s’agit d’une mutation génétique, n’importe qui peut être affecté par la drépanocytose. Comme indiqué précédemment, la mutation offre une meilleure résistance au paludisme, elle est donc plus répandue dans les régions qui ont été et sont affectées par le paludisme, telles que l’Afrique subsaharienne, l’Amérique du Sud ou l’Inde. Historiquement, en raison du commerce des esclaves ainsi que des récentes migrations, de nombreuses personnes porteuses du gène de la drépanocytose se sont déplacées vers l’Amérique du Nord ainsi que d’autres régions du monde. En Suisse, la plupart des personnes affectées ont des origines africaines, mais également de la région méditerranéenne ou du Moyen-Orient. Les patients vivent souvent autour de grandes villes, comme Genève, Lausanne, Zurich, Berne ou Bâle. 

La plupart des porteurs sains et des personnes atteintes ont immigré en Suisse, certains s’y sont établis depuis de nombreuses années et d’autres sont arrivés au cours de la crise migratoire. En fait, je suis l’une des premières personnes à être née avec une drépanocytose en Suisse.

À quoi ressemble la vie quotidienne d’un individu atteint de la drépanocytose?

Chaque personne atteinte de drépanocytose vit une expérience différente. Les gens présentant la forme la plus sévère (génotype HbSS), comme moi, subissent de la fatigue et des douleurs chroniques. La vie quotidienne n’est souvent pas facile car nous craignons toujours le déclenchement de l’une de ces crises vaso-occlusives ainsi que les douleurs qui les accompagnent. Nous essayons néanmoins de mener une vie aussi normale que possible et de naviguer entre ces épisodes de crises douloureuses. Il existe plusieurs déclencheurs que l’on essaie d’éviter, tels que le stress, la déshydratation, l’épuisement, une activité physique excessive ou certains aliments.

Un facteur important réside dans la santé mentale et l’approche que l’on a de la vie de façon à éviter une boucle négative, source de stress et susceptible d’entraîner une crise douloureuse. Personnellement, cela m’aide à rester actif et à avoir une vision de ce que j’aimerais accomplir dans la vie. L’environnement social est également très important, de même que, pour certains, la spiritualité, la méditation ou la religion.

Tu as mentionné plusieurs fois des crises douloureuses. Peux-tu expliquer ce que l’on ressent lorsqu’elles se produisent?

Ces crises sont extrêmement douloureuses. Imaginez que vous vous faites écraser par un bus. Vous avez l’impression que vos os explosent de l’intérieur vers l’extérieur, cela vous brûle et vous avez mal partout. Vous ressentez une sensation de mort imminente liée à la destruction des globules rouges falciformes. Il est possible que vous commenciez à paniquer parce que vous craignez de mourir. C’est une situation extrêmement stressante. Vous passez en mode survie en essayant de gérer la crise douloureuse. La douleur peut se localiser dans n’importe quelle partie de l’organisme et peut durer de quelques secondes à plusieurs mois. 

Avec le temps, je connais bien mon corps; j’écoute les signaux et je respecte mes limites. J’ai appris comment contrôler la douleur et éviter les crises le plus possible. Néanmoins, si je ne parviens pas à contrôler la crise par moi-même, je vais à l’hôpital et je demande une transfusion sanguine ou des analgésiques intraveineux.

Le système de soins de santé suisse répond-il aux besoins des personnes souffrant de drépanocytose?

Malheureusement, l’aide n’est pas optimale. Nombre de prestataires de soins de santé manquent de connaissances sur la maladie et tous les traitements ne sont pas remboursés par l’assurance maladie. Lorsque des patients atteints de drépanocytose se rendent aux urgences pour demander de l’aide en cas de crise douloureuse, il arrive souvent que le personnel médical ne reconnaisse pas la sévérité de la situation. Les patients peuvent avoir à attendre plusieurs heures avant de recevoir un traitement de base tel qu’une hydratation, de l’oxygène, des analgésiques ou une transfusion sanguine. Ils doivent aussi souvent dire aux médecins ce qu’il faut faire parce qu’il n’existe pas de protocole général. Certains des patients ayant besoin de puissants antidouleurs sont également pris à tort pour des toxicomanes. À la maison, je dispose de quelques dispositifs médicaux pour éviter d’aller à l’hôpital. Il y a toutefois des situations où il faut que je m’y rende.

Certains centres disposent cependant d’un personnel bien formé, mais cela est malheureusement rare. L’accès à des soins appropriés peut être une question de chance et selon moi, la chance ne devrait pas entrer en jeu dans le système de santé publique.

En Suisse, environ 400 à 600 personnes souffrent de drépanocytose, soit un nombre relativement faible. À tes yeux, où en est la sensibilisation à la drépanocytose en Suisse? 

La connaissance de la maladie est très faible, si vous interrogez des gens dans la rue, ils ne sauront certainement pas ce qu’est la drépanocytose. 

De plus, nous ne savons pas combien de patients souffrent de drépanocytose. 400-600 personnes, ce n’est qu’une estimation; peut-être ce numéro omet–il de nombreuses personnes car il n’existe pas de dépistage systématique ni de registre.

Oui, la prévalence est faible, mais elle ne justifie pas la faible sensibilisation à la drépanocytose en Suisse. Par comparaison, dans le cas de la mucoviscidose, dont le nombre de patients est similaire en Suisse, les connaissances et la sensibilisation sont bien plus élevées.

Malheureusement, les patients souffrant de drépanocytose font souvent l’objet de préjugés sociétaux car la population affectée est souvent immigrée et présente des habitudes culturelles différentes. Dans de nombreux pays, la drépanocytose est stigmatisée parce qu’elle n’est pas bien comprise, ce qui fait que les personnes affectées ont honte de parler de leur maladie. 

La sensibilisation doit augmenter: le législatif, les bailleurs de fonds, les hôpitaux, l’assurance maladie, les entreprises, les médias, les politiciens, l’ensemble de la société doit être impliqué, formé et activé.

Quel est l’engagement de Suisse Drépano auprès des patients et de leurs familles et quel est l’objectif de vos activités?

L’association Suisse Drépano se concentre beaucoup sur la sensibilisation à la maladie grâce à des campagnes, des groupes de soutien, la formation des patients, des familles et des professionnels de santé ou encore des cours à l’Université. Ses membres mènent également des recherches par eux-mêmes sur différents sujets tels que la stigmatisation, l’aspect communautaire, l’autogestion ou la technologie. 

Notre principal objectif est de créer des groupes de soutien, de parler aux patients et aux familles, de leur montrer par exemple que même avec une drépanocytose, on peut mener une vie presque normale et atteindre ses objectifs.

De quelle façon la crise du COVID-19 affecte-t-elle les personnes atteintes de drépanocytose?

Au début de la crise, les personnes atteintes de drépanocytose n’étaient même pas considérés comme étant à risque par manque de compréhension. Le système immunitaire des individus atteints de drépanocytose est altéré et les infections constituent un déclencheur majeur de crises vaso-occlusives.

Suite aux réglementations sur le COVID-19, la plupart des consultations médicales et des interventions ont été annulées. En outre, la drépanocytose est une maladie sanguine, de nombreux patients ont besoin de transfusions sanguines fournies par des dons de sang. Le nombre de dons a beaucoup diminué, retardant les interventions médicales pour les patients.

Les patients sont anxieux et stressés car l’impact du virus du COVID-19 sur la drépanocytose n’est pas connu. L’association Suisse Drépano s’efforce de comprendre dans quelle mesure le virus peut affecter les patients ainsi que de soutenir et de communiquer ces informations aux patients et à leurs familles.

Comme tout le monde, nous suivons les instructions indiquant de rester à la maison et de maintenir la distanciation sociale. L’impact social de ces mesures liées au COVID-19 se fait sentir. La santé mentale représente un problème fréquent pour les personnes atteintes de drépanocytose, ils se sentent plus stressés ou déprimés, la situation reste difficile.

 


 

Pour en savoir plus sur la drépanocytose :

Veuillez consulter www.notaloneinsicklecell.com